Mosaïque : juxtaposition de petits morceaux de céramique, pierre ou verre, placés de manière à former ensemble un motif.
Alphonse Gentil (1872-1933) & Eugène Bourdet (1874-1952) fondèrent leur entreprise de grès de bâtiment à Billancourt-Paris, actuellement Boulogne-Billancourt dans les Hauts-de-Seine, en 1901, époque à laquelle de grands fabricants de céramique architecturale se partageaient le marché de la décoration extérieure. Les uns étaient plutôt faïenciers, comme Hippolyte Boulenger à Choisy-le-Roi, d’autres moulaient la terre cuite et le grès, tels Muller à Ivry ou Bigot depuis peu. De nombreuses petites fabriques produisaient plus spécialement de la mosaïque.
Gentil & Bourdet choisirent de mettre plusieurs cordes à leur arc en proposant d’abord des grès moulés, sculptés, pressés, puis de la mosaïque plus moderne que celle de leurs concurrents. Ils traversèrent avec succès les périodes Art Nouveau puis Art Déco, laissant la plupart des autres spécialistes du grès renoncer au moment de la 1ère Guerre Mondiale.
Si leurs pièces moulées ont parfois quelques ressemblances avec celles de Bigot ou Muller, leurs mosaïques se différencient particulièrement des œuvres traditionnellement réalisées au début du XXe siècle. C’est en regardant leurs réalisations, souvent marquées à leur nom, sur les murs de nos villes que l’on peut en comprendre l’originalité. Leur catalogue « Manuel d’application de mosaïques spéciales de Gentil & Bourdet » paru autour de 1914 indique la variété des matières utilisées et mentionne les particularités de leurs productions : « Nos mosaïques spéciales associent agréablement au grès mat ou brillant les émaux de Venise, l’or, le grès cérame, la pâte de verre, le marbre. Elles se caractérisent par la disposition des joints, qui laissent au ciment apparent et teinté un rôle décoratif et permet aux éléments employés de jouer à la fois par la silhouette et la couleur ainsi que par l’emploi de motifs à relief qui en agrémentent les surfaces. »
Les assemblages proposés sur le catalogue sont réguliers ou aléatoires. Les tesselles, ces petits morceaux qui assemblés forment le dessin, sont presque toutes de formes géométriques, carrées, circulaires, hexagonales ; une seule proposition diffère en présentant des quadrilatères irréguliers. Mais le plus original est ailleurs.
A côté de ces dessins au trait, les modèles en couleur ne permettent pas de voir les détails de leurs compositions, car c’est derrière le mot « silhouette » que se cache vraiment la particularité des mosaïques de Gentil & Bourdet Ils utilisent couramment les silhouettes rondes, des disques de différents diamètres formant le plus souvent des pétales de fleurs. Leurs guirlandes et bouquets semblent avoir été particulièrement appréciés, comme en témoigne la fréquence de ces motifs sur leurs mosaïques. Mais d’autres silhouettes marquent leur production de manière très personnelle : des formes récurrentes de feuilles que l’on retrouve de tailles différentes incluses dans des compositions uniques.
L’originalité de ces mosaïques réside dans l’addition de variantes aux créations de leurs concurrents ; elles signent en quelque sorte l’œuvre de ces mosaïstes :
– Le mélange de tesselles carrées produites industriellement avec des quadrilatères irréguliers donnent un caractère plus artisanal, plus personnel, à l’œuvre
– L’assemblage régulier en ligne à côté d’un semis aléatoire brise l’uniformité de l’ensemble en créant du mouvement par contraste
– Les courbes modernes de l’Art Nouveau sont réalisées par de minces tesselles choisies taillées sur mesure
– Les silhouettes de pétales et feuilles de taille plus importante que les tesselles donnent l’impression de relief, que l’on peut constater en comparant deux motifs : l’un avec des silhouettes de feuilles, l’autre avec des tesselles formant les feuilles
– Le fond du décor n’est pas unicolore, ce qui le rendrait fade, mais constitué de tesselles de différentes nuances d’ocre et de bleu, des dégradés, des camaïeux, mêlant aussi mat et brillant, mélangeant les matières, en semant par endroit des tesselles recouvertes d’or parmi les grès.
– Les rosaces et cabochons sont parfois intégrés et ponctuent les surfaces en ajoutant du relief à l’ensemble
L’utilisation des feuilles entières et des formes rondes ressemblant à des pastilles et donnant l’impression de relief a abouti à la dénomination de « pastillage » pour cette forme de mosaïque. Auparavant le terme était employé pour nommer la technique consistant à modeler de petites pastilles de pâte pour en faire par exemple des pétales que l’on assemblait en relief sur un objet. Mais rien ne dit que ce mot était utilisé par les céramistes, il ne figure pas à leur catalogue.
Quelques fonds de décors reviennent souvent dans leurs compositions : des frettes, de grandes écailles multicolores et des croisillons, formes non personnelles adoptées également par d’autres décorateurs. La présence des pastilles, disques et feuilles si particulières, signe leur travail, mais d’autres productions moins repérables leur sont dues, sans doute suite à la demande d’un architecte.
Les mosaïques de Gentil & Bourdet sont visibles sur des demeures privées comme sur des bâtiments publics, surtout dans les années 1920/1930 alors que la demande des particuliers faiblissaient tandis que les écoles, les établissements de bains et les postes recherchaient toujours la céramique qui répondait à la nécessité de revêtement hygiénique, mais aussi durable et esthétique.
Gentil & Bourdet précisent en fin de catalogue qu’ils se chargent de la pose de leurs mosaïques pour lesquelles il faut prévoir un défoncé de 0,015 du nu définitif, ce qui représente l’épaisseur des tesselles et du ciment qui les scelle. Elles sont livrées collées sur papier, indiquant que le motif est préparé à l’envers à l’usine, par petites surfaces, facilitant le travail de pose dans les endroits d’accès difficile, tout particulièrement les voutes. Cependant, malgré tout ce savoir-faire, le scellement dans les endroits très ravinés par l’eau cède au cours du temps et des recréations s’avèrent nécessaires pour conserver à l’œuvre son prestige d’antan. Les mosaïstes actuels tentent alors d’imiter le travail ancien sans forcément en reprendre ses particularités, notamment en matière de taille des tesselles, ou en testant des techniques différentes. Il nous reste néanmoins beaucoup de mosaïques originales à admirer, avec sans doute, ici ou là, quelques réfections indécelables… L’ampleur des chantiers de rénovations tel celui de l’établissement hydrominéral de Contrexéville laisse deviner le temps passé, la perfection du travail et la patience des ouvriers de l’usine de Billancourt.
© Ceramique-architecturale.fr – FM
Novembre 2014
Nb : Les dates de construction des édifices, lorsqu’elles sont connues, figurent dans la légende des photos. Elles permettent d’apprécier la longue période durant laquelle l’entreprise a produit ce style de mosaïques, c’est-à-dire au moins de 1911 à 1933. Mais l’internaute spécialiste de Gentil & Bourdet a peut-être repéré une plus grande longévité.
Sources : « Manuel d’application de mosaïques spéciales de Gentil & Bourdet » tarif 1914, Bibliothèque des Arts Décoratifs – Paris
Pour les dates non visibles sur la construction: Société Historique du Raincy et du Pays d’Aulnoye, pour Le Raincy ; culture.gouv pour la Bourboule, Deauville, Limoges; Protections patrimoniales de Paris ; Atlas du patrimoine 93 pour l’école de Saint-Ouen ; OT de Saint-Ouen pour la mûrisserie ; site Gentil & Bourdet pour Bordeaux, Nancy, Rennes et Paris rues Boulard, Faidherbe et Delestraint. A noter que certaines dates diffèrent selon les sources, sans doute indiquant le début de la construction ou son inauguration.