Le mariage réussi de la brique et du carreau de céramique fut célébré à la fin du XIXe siècle. Timidement cachée derrière un revêtement de façade ou exposant crânement ses jeux au regard du passant, la brique a su prendre toute sa place dans la décoration des immeubles de l’époque. Mais souvent aussi, elle resta discrètement au service des carreaux polychromes, les encadrant pour leur assurer une mise en valeur indispensable.
L’annexion par Paris de ses proches villages, notamment La Villette pour le nord-est, fait reculer en 1859 les limites de l’octroi (taxe due pour l’entrée des marchandises en ville). Pantin devient alors limitrophe de Paris. Les industries et activités soumises à ce péage voient donc leur intérêt à s’installer hors les murs tout en restant au plus près de la capitale. Situation qui intéresse aussi cette dernière qui manque de place et se débarrasse ainsi de son trop plein d’usines, d’habitants et par suite de défunts, en créant en 1886 à Pantin son troisième cimetière parisien extra-muros.
Pantin voit de ce fait sa population augmenter induisant la nécessité de construire, tout particulièrement des immeubles de rapport dont le style marque une continuité avec ceux des arrondissements parisiens proches. Nous ne sommes pas dans la configuration de villes à peine plus éloignées telles Aulnay-Sous-Bois ou Bondy, qui ont développé un habitat de résidences secondaires et pavillonnaires autour de 1900, période phare des céramiques architecturales décoratives. Alors que les décors polychromes sont souvent posés sur des pavillons en meulière, ils sont ici plutôt sur du bâti en brique, car on pensait à cette époque que la pierre meulière, très prisée dans l’architecture du début XXe siècle en Ile-de-France, n’était pas adaptée à la construction d’immeubles élevés. Naturellement irrégulière de couleur et de forme, ce qui fait tout son charme, sa pose est de fait beaucoup plus délicate que celle de briques parfaitement calibrées. Néanmoins, quelques exemples sont visibles à Pantin, où la brique participe aussi à l’effet décoratif en mettant en valeur les éléments émaillés.
La brique de terre cuite est très présente à Pantin. Selon l’argile utilisée, elle a des couleurs différentes après cuisson, allant du jaune au rouge… brique, montrant même une légère polychromie qui la rend plus esthétique que beaucoup d’autres pressées après les années 1920 parfaitement unicolores, lisses et sans nuances. Selon sa place dans le four et sa proximité de la flamme, elle peut virer au brun, donnant ainsi une possibilité décorative supplémentaire.
A côté de grandes briqueteries régionales, s’en trouvaient de plus petites. On utilisait notamment la brique de Bourgogne, de Sannois, de Bondy et d’autres venant de tuileries briqueteries réputées (Muller à Ivry, Boulenger à Vitry-sur-Seine) ou plus locales, 1er choix ou banale, tout dépendait de sa place sur le bâti. Chacune ayant différentes qualités de finition, résistance, porosité, couleur, associées à un coût plus ou moins élevé, plusieurs sortes étaient utilisées pour un même immeuble, sur les parties cachées ou visibles, comme peuvent l’attester les devis anciens. On peut ainsi minimiser le coût de la construction avec une brique basique que l’on enduira ensuite et que l’on peut habiller de modénatures en plâtre, stuc ou ciment imitant la pierre. Elle peut se cacher également sous un crépi à la tyrolienne : la brique est donc bien plus présente qu’elle n’est visible. On la devine aussi parfois sous un badigeon de lait de chaux ou de peinture, laissant de grandes surfaces uniformes voire très contrastées selon les couleurs, peu conformes à l’esprit d’origine.
Dans de nombreux immeubles pantinois, la brique suffit au décor. Ses trois dimensions standardisées étant proportionnelles (0,22×0,11×0,055 m), elles peuvent se combiner entre elles, en surface planes, de multiples façons en alternant leur côté long (panneresse) et le plus petit (boutisse). Elles peuvent également être posées en saillies, présentant un angle ou dépassant du nu du mur pour former un bandeau ou des denticules, être colorées en surface par un émail sur une face, voire deux selon leur emplacement. Avec plusieurs couleurs de briques, les architectes et entrepreneurs ont imaginé des appareillages polychromes variables à l’infini avec pour base les plus courants relevés dans les recueils d’architectes ou issus des traditions : appareil en panneresse, anglais, flamand… Travaux minutieux des ouvriers d’antan que l’on nomme aujourd’hui « jeux de briques ».
Les jeux de briques sont conçus suivant deux principes : la continuité ou le motif limité. L’un présente un motif répétitif en ligne formant une frise, une colonne ou recouvrant toute la surface du mur, il est illimité. L’autre occupe une surface limitée, généralement entre deux fenêtres ou en allège. L’appareillage des briques, c’est-à-dire la façon dont elles sont assemblées entre elles, peut être la seule intention décorative mais l’on observe fréquemment à ses côtés un décor de carreaux de faïence, de grès, ou des éléments moulés en relief.
Ciment, stuc, plâtre ou pierre accompagnent de leurs teintes claires les briques et céramiques polychromes.
L’entreprise Bermann, rue Cartier Bresson, toujours actuellement dans le commerce de l’argile, produisait autrefois des briques. Véritable vestige du passé industriel pantinois, sa création remonterait à 1857, époque à laquelle son propriétaire, Monsieur Caillot, produisait de la pierre reconstituée (source Archives municipales). Il est difficile de savoir pour quels immeubles leurs briques ont été utilisées, puisque leur marque était incluse au fond des moules à l’envers, incrustée lors du pressage sur la face cachée de la brique. Ce procédé courant dès la période de fabrication industrielle, mi XIXe siècle, n’apporte aucune publicité à l’entreprise, tandis que le procédé de marquage sur une face exposée au regard une fois posée était plus parlant. Cependant, très peu de ces petites marques en creux, des initiales, sont de nos jours attribuables à tel ou tel fabricant, tant ils étaient nombreux.
Outre sa proximité de Paris, Pantin avait aussi d’autres atouts pour les propriétaires d’usines : le canal de l’Ourcq et le chemin de fer pour le transport des marchandises, entre lesquels de grands terrains étaient disponibles. D’autres se contentaient d’espaces plus petits et occupaient les fonds de parcelles dans les rues principales, mêlant habitat, activités commerciales et artisanales. Citons l’entreprise Simons & Cie qui produisait de la mosaïque. Ses « Ateliers spéciaux » étaient installés entre 1901 et 1906 au 8 rue Hoche avant de rejoindre leur usine au Cateau. L’atelier pantinois vantait sa production de mosaïques romaines en grès cérame fin pour le sol (mosaïque romaine, terme publicitaire car en pierres à l’origine) et ses mosaïques d’art pour les dallages riches et la décoration murale. La maison mère dans le Nord produisait aussi de nombreux carreaux de sol, dont on doit trouver trace notamment dans certains halls d’immeubles, parmi les productions d’autres céramistes ou mosaïstes.
Ce petit aperçu concerne la période fin XIXe siècle début XXe à Pantin et n’est pas exhaustif ; sans doute quelques belles constructions ont disparu mais beaucoup sont encore visibles. Mes remerciements vont à Arlette Jaouen de l’association « Pantin patrimoine » qui a partagé mes balades et à Geneviève Michel, responsable du pôle Mémoire et Patrimoine aux Archives municipales, pour son implication dans la préservation de ce patrimoine céramique.
© Ceramique-architecturale.fr – FM
Septembre 2014
Sources : catalogues de fabricants anciens, annuaires du bâtiment
Pour en savoir plus sur le patrimoine de Pantin : Contribution au diagnostic de la ville de Pantin
A lire : Architectures de briques en Ile-de-France 1850-1950, ouvrage d’Antoine Lebas paru en mars 2014, Somogy Editions d’art