L’évocation de la mer par les céramistes suit, mais à distance, la création des stations balnéaires, fin XIXe siècle. La médecine ne cessant de vanter les mérites de l’air marin et des bains de mer, la bonne société se retrouve avec plaisir dans ces nouveaux quartiers créés à son intention, pas bien loin de quelques villages de pêcheurs plus anciens ayant également permis l’installation des nouvelles commodités annexes, tels les indispensables casinos où l’on se rencontre entre gens de bonne compagnie. Les citadins aisés de nos grandes villes françaises, notamment Paris et Bordeaux, mais également les touristes étrangers fortunés investissent alors les côtes de la Manche et de l’Atlantique. Leurs architectes rivalisent d’originalité pour créer un style dit plus tard « balnéaire » mêlant des éléments locaux, telles les pierres de la région ou les colombages et épis de faitage en Normandie, avec d’autres critères plus à la mode en ville quant à l’architecture d’ensemble ou la décoration. C’est ainsi que les décors de façade en céramique polychrome arrivèrent aussi en bord de mer.
A cette époque, la mer est indirectement évoquée sur ces villas du littoral, et pas plus qu’en ville. Tous les céramistes présentent alors coquilles et dauphins à leur catalogue, mais la représentation symbolique est privilégiée par rapport au naturalisme qui sera à la mode au tournant du siècle.
Les résidents saisonniers de ces belles propriétés exprimaient au travers de ces décors leur goût pour l’art et la littérature, y compris lors du choix du nom donné à la demeure. Au-delà de cette volonté, comment ne pas voir parfois un message, tel celui de la villa Oceano nox, poème de Victor Hugo, hommage rendu à un proche comme à tous les marins disparus que pleurent leurs familles :
Oh ! combien de marins, combien de capitaines
Qui sont partis joyeux pour des courses lointaines,
Dans ce morne horizon se sont évanouis ! …
Outre les qualités liées à l’esthétique du décor céramique, le choix du motif par une population cultivée est sans doute souvent porteur de sens, bien qu’oublié de nos jours.
L’omniprésente coquille, comme la mer, évoque la naissance et est un attribut de Vénus, la déesse de l’amour. C’est aussi l’emblème du pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle et l’attribut d’autres saints tels Roch, Sebaldus, Coloman ou l’archange Raphaël. Le dauphin également bien présent, est un mammifère intelligent attiré par l’Homme. C’est un attribut de Poséidon, dieu de la mer pour les Grecs, dont la légende évoque le sauvetage d’Arion par un dauphin. De forme proche de sa représentation héraldique, il n’apparait plus ensuite dans l’imagerie naturaliste postérieure.
Que dire de l’ancre, inspirant stabilité et confiance, et du trident, attributs des dieux de la mer, si ce n’est signaler leur rareté sur les villas et leur pose toujours repérée en proximité de la mer.
Si l’on peut trouver des représentations naturalistes liées à la mer dans les années 1880 au catalogue des faïenciers de Sarreguemines & Digoin, l’ensemble de leurs confrères semblent plutôt avoir attendu la demande et n’ont pas proposé de modèles manufacturés. Par la suite, dès les premières années du XXe siècle, Gentil & Bourdet inscrivent quelques coquillages et crustacés à leur catalogue, tandis que les autres manufactures n’ont pas de production significative dans ce registre.
Les résidents de ces villes balnéaires sont les premiers et presque seuls clients pour ce type de décor : orner sa demeure de poissons ou de mouettes à Paris ou en campagne semblait incongru, à moins d’avoir une bonne raison à cette époque où le décor faisait particulièrement sens.
Selon les goûts et les budgets, on rencontrera quelques frises d’oiseaux de mer ou d’animaux marins sur carreaux de faïence ainsi que des sujets en relief et en grès placés parfois isolément.
La plus grande variété de motifs se trouve sur les panneaux portant le nom de la demeure ou simplement évoquant le lieu par l’image, puisque ce sont des réalisations généralement uniques. Cette tradition perdure et l’on rencontre des décors de fabrication récente, voire des recréations à l’identique généralement indécelables. Sable et embruns causent plus qu’ailleurs des dégâts souvent irréversibles à la terre cuite et aux faïences, et il est heureux que les propriétaires, avec le concours des céramistes actuels, assurent le maintien de ces ornements.
Rares sont les décors maritimes loin des côtes et leur présence a toujours une signification, souvent très évidente : une poissonnerie montrera un décor de carreaux de faïence décorés alliant les qualités hygiéniques du matériau à une ambiance halieutique attrayante aux yeux du chaland.
Tout lieu de vente de poissons peut le signifier par son décor extérieur ou intérieur, citons notamment la criée de Rennes, les halles de Limoges ou l’entrepôt de salage de morue à Bègles.
Plus généralement, tout lieu d’eau donne l’opportunité de placer un motif aquatique. Les thermes de Vichy et la piscine de Rennes exposent à nos regards de magnifiques décors en grès, où les représentations mythologiques prennent toute leur place parmi un ensemble céramique éblouissant, tant sur les toits que sur les murs extérieurs. Chacun peut ainsi s’imaginer sous la protection de la sirène d’Alexandre Bigot ou du Neptune de Gentil & Bourdet en pénétrant dans les lieux !
Les grandes manufactures de céramique architecturale travaillaient alors en collaboration avec les architectes qui leur proposaient des motifs ou des thèmes. Alexandre Bigot était très sollicité dans les dix premières années du XXe siècle et ses œuvres ne cessent de surprendre encore aujourd’hui par leur originalité allant parfois jusqu’à habiller intégralement la façade. L’immeuble rue de Hanovre à Paris est entièrement recouvert de grès à dominante brune couleur de roches, plongeant le passant dans une ambiance un peu tourmentée, peuplée de végétaux et d’animaux sous-marins.
Si l’idée vous tente d’ajouter une image de céramique ancienne sur ce thème, avec votre copyright, vous serez naturellement les bienvenus !
© Ceramique-architecturale.fr – FM
Juillet 2015
Tous mes remerciements au gérant l’ancienne poissonnerie rue du Faubourg Montmartre à Paris.