Emile Menier est le fondateur de la chocolaterie éponyme à Noisiel en Seine-et-Marne. Devant le succès de son chocolat, il décida dans les années 1860 d’agrandir son usine et confia les travaux à l’ingénieur architecte Jules Saulnier. Celui-ci projeta, entre autres nouveaux bâtiments, le remplacement du moulin qui enjambait l’eau de la Marne par une construction fonctionnelle, esthétique, et répondant au désir de notoriété d’une entreprise en pleine réussite. Il proposa un style parfaitement novateur alliant une structure en fer partiellement visible, des appareillages de briques de différentes couleurs, brutes et émaillées, et des panneaux de terre cuite décorés.
La construction du moulin fut terminée en 1872, la guerre ayant retardé le projet, et c’est à la Grande Tuilerie d’Ivry, fondée en 1854 par Emile Muller, que l’on doit la céramique architecturale structurant, couvrant et décorant l’édifice. Le recueil de planches de l’architecte Pierre Chabat, intitulé La brique et la terre cuite, paru en 1881, présente deux planches de briques décorées et ornements divers attribués à Emile Muller & Cie sur lesquelles figurent plusieurs décors présents à la chocolaterie.
La restauration minutieuse du bâtiment en 1992 permet d’admirer l’ensemble des décors, qu’ils soient d’origine ou remplacés à l’identique pour cause d’usure, en partie due à la fabrication de carreaux dont l’émail n’était pas encore bien au point pour résister aux assauts du temps en extérieur. Les jeux de briques émaillées et la structure métallique se croisent, se soulignent et se mettent l’une l’autre en valeur. Les quatre faces du moulin sont ornées ; des médaillons ponctuent régulièrement les espaces au centre des losanges formés par les fers apparents. Les uns portent le M du fondateur Menier et les autres représentent l’objet de l’entreprise : la fabrication du chocolat.
Pour représenter la production de l’usine, on choisit de mettre en avant le cacaoyer, plus décoratif qu’une tablette de chocolat. Le médaillon est orné au centre d’une branche de cacaoyer avec feuilles, fleur, boutons et jeune fruit. L’encadrement circulaire est en relief agrémenté de cabosses, nom donné au fruit, et de feuilles. Cependant, la nature ne se prête pas toujours à une composition esthétique bien visible de loin, comme c’est le cas sur un mur. Le céramiste prend alors quelques libertés, parfois très grandes, avec les dispositions naturelles des éléments végétaux et leurs proportions. Dans les plantations d’où proviennent les fèves de cacao, les fleurs du cacaoyer sont regroupées en coussinets floraux qui apparaissent directement sur le tronc ou sur les branches âgées, tandis que les feuilles longues de 20 à 30 cm sont plutôt en périphérie. Chaque fleur ressemble effectivement au décor du moulin : cinq sépales rosés et cinq pétales plus petits au centre ; mais dans la nature, elle mesure moins d’un centimètre, c’est-à-dire beaucoup plus petite que la feuille.
La magnifique façade par laquelle on entre dans le moulin regroupe tous les ornements présents sur ses autres faces mais apporte également des éléments complémentaires montrant l’importance du lieu et l’ancrage de l’entreprise dans le temps. Comme sur toute construction d’envergure, la pendule surplombe la travée centrale, elle est accompagnée par deux cloches dont l’une rythme les journées des ouvriers et est posée au-dessus du monogramme du patron : M. Il est disposé au milieu d’arabesques dans un disque coiffant une rosace en relief à forme de cabosse, elle-même entourée par deux autres disques plus petits dont les cercles de briques émaillées s’entremêlent harmonieusement avec les arcs des deux baies étroites. Puis vient le panneau hexagonal entouré du motif des cabosses et dont le texte énonce l‘historique du moulin depuis son origine connue. Les dates clés de son histoire sont reprises au dessus de la marquise accompagnée de la mention apportant modernité et unicité à l’ensemble : Usine hydraulique de Noisiel.
C’est un luxe de décors jusque sous les saillies extérieures de la toiture, autour des fenêtres mansardées et au sommet du toit. Parmi les nombreux ornements, on retrouve la fleur du cacaoyer sur des carreaux de terre cuite émaillée et les cabosses en relief. Ces deux éléments ainsi que le M sont aussi repérables sur les lambrequins métalliques coiffant les fenêtres et les garnitures de rives du toit. Le faitage est parfaitement étudié pour le lieu : les fleurs de cacaoyer en terre cuite avec boutons atteignent 97 cm de haut, les rendant parfaitement visibles de loin ; elles alternent avec des cabosses feuillées. Là encore les proportions de ces éléments végétaux ne peuvent être respectées sur la crête de toit. Dans la nature, la fleur est trente fois plus petite que la cabosse, rendant la représentation à l’échelle impossible. Le catalogue du fabricant, la Grande Tuilerie d’Ivry, mentionne le nom de l’architecte qui a dessiné ce modèle, Saulnier, et celui de sa destination, l’usine de Monsieur Menier. Ce procédé de motif demandé par l’architecte au céramiste était courant, particulièrement dans cette tuilerie, avec laquelle différents architectes de renom ont travaillé. Emile Muller & Cie prévoyait six semaines de délai entre la remise du dessin et la livraison de la pièce. Les céramistes recevaient l’autorisation, ou non, de reproduire le modèle pour le commercialiser à plus grande échelle. L’épi de faîtage figure également au même catalogue Emile Muller & Cie. Il sert de support au paratonnerre et l’on y retrouve les feuilles du cacaoyer et les chérelles (les jeunes fruits) avec des boutons floraux à la base.
Le bâtiment des refroidisseurs de chocolat, construit vers 1882/1884, est comme le moulin, protégé au titre des monuments historiques. De style différent, les ornements métalliques ont été privilégiés ; ils sont alliés aux murs de briques savamment organisées et une seule frise en carreaux de céramique orne sa façade. Ils n’ont pas de rapport avec les décors du moulin et le motif n’est pas au catalogue de la Grande Tuilerie d’Ivry mais à celui de la Faïencerie de Creil et Montereau.
La cité ouvrière qu’Emile Menier fit édifier dès 1874 à côté de l’usine est entièrement en briques fabriquées et cuites sur place. A la différence des maisons louées aux ouvriers, les bâtiments que l’on souhaitait distinguer, tels la mairie, les écoles ou le restaurant par exemple, sont ornés de carreaux bicolores en terre à grès, dits carreaux mosaïques incrustés par leur fabricant, Boulenger, d’Auneuil dans l’Oise. Il fabriquait des carreaux de sol que l’on retrouve fréquemment dans les maisons et parfois posés aussi sur les façades comme ici. Il n’y a pas de rapport avec son homonyme de la Faïencerie de Choisy-le-Roi, qui s’est illustré dans les décors émaillés. Les frises bicolores posées ici ont des motifs différents selon les édifices et on remarquera le clin d’œil de l’architecte sur le bâtiment des Pompes où le petit carreau central, choisi au catalogue du céramiste, représente une couronne que l’on peut lire aussi comme le M de Menier.
La Grande Tuilerie d’Ivry fondée en 1854, avait comme première fonction de produire des accessoires de toiture, telles les tuiles à emboitement brevetées par les frères Gilardoni d’Altkirch en Alsace, d’où était originaire Emile Muller. La tuilerie diversifia ensuite ses activités pour produire des décors de façade en terre cuite brute ou émaillée, tels ceux de Noisiel, avant de populariser les ornements en grès, bruts ou émaillés, de compositions permettant une cuisson à plus haute température les rendant imperméables et ingélifs, totalement résistants aux intempéries.
Les éléments de toiture figuraient toujours au catalogue 1895 de la Grande Tuilerie d’Emile Muller ; cependant, au regard du catalogue 1904 consacré à la décoration architecturale, on pourra s’étonner de ne pas trouver trace du moulin de Noisiel dans la très grande liste des réalisations de l’entreprise céramique, et aucun des décors muraux n’y est repris.
La chocolaterie Menier à Noisiel ne produit plus de chocolat, c’est de nos jours le siège social de Nestlé. Des visites guidées y sont organisées par le Service d’animation du patrimoine de Noisiel.
© Ceramique-architecturale.fr – FM
Pour en savoir plus :
– Noisiel La chocolaterie Menier Seine-et-Marne par Claudine Cartier, Hélène Jantzen, Marc Valentin ; édité par l’Association pour le Patrimoine d’Ile-de-France, 1994
– Catalogue de l’exposition La Grande Tuilerie d’Ivry – Le beau et l’utile, réalisé par les Services municipaux des Archives et de l’Information d’Ivry-sur-Seine (94), 2009
– La brique et la terre cuite, par Pierre Chabat, 1881 ; consultable à la bibliothèque des Arts Décoratifs à Paris ; on peut se procurer une réédition sous le titre Victorian brick and terra-cotta architecture, Dover Publications
– Site officiel de la ville de Noisiel