Mais pourquoi des Bains-Douches ?
L’accroissement de population régulier jusqu’au tournant du XXe siècle devint exponentiel : 5195 habitants à Bondy en 1906, 10 104 en 1921, puis 15 282 en 1926. Ces nombreux arrivants et la vente de terrains par des lotisseurs peu scrupuleux amenèrent le maire, Isidore Pontchy, et le Conseil municipal à résumer ainsi la situation, dans le compte rendu de mandat 1925 – 1929 :
De nombreuses familles ouvrières parisiennes ont quitté la capitale pour se réfugier en banlieue, recherchant un air plus pur, un logement moins cher. Avec des économies réalisées sur un modeste gain journalier, avec cette ténacité qui est une des qualités primordiales de l’ouvrier français, elles cherchèrent à s’évader des faubourgs de Paris pour se créer un foyer indépendant. Elles devinrent propriétaires d’un lot de terrain et construisirent la modeste maison au prix de sacrifices répétés.
Malheureusement aucune loi, à cette époque, ne règlementant l’ouverture des lotissements, ces familles furent à la merci de vendeurs de terrains plus ou moins de bonne foi.
Lorsqu’après leur installation, elles s’aperçurent que le cahier des charges qu’elles avaient signé (bien souvent sans en avoir calculé les conséquences) ne leur donnait aucune satisfaction au point de vue de la viabilité, de l’assainissement, de l’éclairage et de l’adduction d’eau, elles se retournèrent vers les Municipalités les rendant, à tort, responsables de cet état de choses déplorables.
Les municipalités mirent tout en œuvre pour soutenir et venir en aide à leurs nouveaux concitoyens. Le manque d’approvisionnement en eau potable représentait un problème majeur, des bornes fontaines furent installées au fur et à mesure dans chaque quartier en expansion, pour compléter les puits que certains se faisaient forer. Puis Bondy, comme tant d’autres, envisagea alors la construction de Bains-Douches.
Le projet de Marius Tranchant
En juin 1923, le devis estimatif de l’architecte municipal Marius Tranchant, travaillant pour Bondy, Pavillons, Livry et Gargan, est approuvé par le conseil municipal.
En voici un court extrait :
…murs de cave et basses fondations en meulière neuve hourdée en mortier n°. de chaux hydraulique de Beffes.
…murs en élévation en brique apparente amiantine rouge et blanche, partie en brique de Belleville hourdée…
…parties de remplissage sous les chassis jumelés crépi moucheté mortier en ciment.
En soubassement meulière enduite en ciment Portland I ton pierre.
…brique de Vaugirard hourdée…pour les murs en façade postérieure.
…marches avec retour en roche de Saint Maximin…
Ce devis est à lui seul un voyage. On prévoyait un motif de couronnement au-dessus de la porte avec panneaux d’inscription, lettres en creux ou en relief et panneaux latéraux recevant cabochons en grès flammé. Ce fut finalement un motif en mosaïque qui fut décidé et Philippe Mazzioli choisi pour le réaliser. L’entreprise de travaux publics L. Maillard, 1 rue Frémin, réalisera une partie des travaux du bâtiment qui ouvrira le 23 juin 1925.
Les mosaïques de Mazzioli
La mosaïque est un assemblage de petits morceaux, des tesselles, que l’on combine pour former un motif. Les plus anciennes mosaïques de sol datant de plus de 5 000 ans ont été découvertes en Mésopotamie. Puis, passant par la Grèce, on les retrouve dans l’Empire romain où elles ornent désormais également les murs depuis le IIe siècle avant notre ère. Après de longues périodes de sommeil, la mosaïque trouve un nouveau souffle au XVIIIe siècle en Italie. Napoléon fit venir par la suite quelques artistes en France mais c’est surtout lors de l’exposition universelle de 1867 que l’on remarqua l’œuvre des artistes italiens : Facchina, Mazzioli ou Del Turco. La tradition se perpétuant de père en fils, on retrouve ainsi un Mazzioli, Philippe, à l’origine du décor des Bains-douches bondynois.
Facchina est l’auteur des mosaïques de l’Opéra Garnier à Paris ; il améliora et fit breveter en 1852 la pose par inversion du motif. Les tesselles sont collées provisoirement à l’envers sur un papier en atelier, par plaques de taille manipulable par un seul homme, puis apportées sur place pour être posées sur la surface à décorer. Ce procédé plus rapide et moins fatigant que la pose pièce à pièce sur le mur, avec des tesselles désormais fabriquées industriellement, abaissa le coût de l’ensemble et permit une plus large diffusion publique.
Sur son devis pour Bondy, Mazzioli note ainsi : Les fonds m’étant donnés préparés au ciment ou en briques à 0,02 cent. En retrait du mur nû à atteindre et les encadrements des baies formant arrêtes étant préparés par un champ en ciment.
Chaque tesselle est un morceau presque cubique dont une seule face est apparente. Ce peut être de la pierre tel le marbre, utilisé généralement sur les sols, ou comme sur les murs extérieurs des Bains-douches, du grès cérame ou des émaux. Les émaux sont une sorte de pâte de verre, pouvant être colorée d’une infinité de couleurs, sur laquelle ou peut aussi fixer une feuille d’argent ou d’or. Ces derniers se repèrent facilement lorsque le soleil se reflète sur les vitres de la mairie et font briller ces petits points dorés parsemant le motif.
Peu d’entrepreneurs acceptaient alors de poser un tel décor dont les raccords des différentes plaques se révélaient minutieux et dépendaient beaucoup de la régularité du support ; la partie incurvée formant corniche n’étant pas la plus facile. Le mosaïste assurait la pose mais tout devait être prêt pour qu’il ne perde pas de temps, comme le laisse deviner Mazzioli : Les échafaudages m’étant donnés préparés à hauteur convenable.
Choisie pour ses qualités inhérentes aux matériaux utilisés, grès cérame, verre ou marbre, la mosaïque garde ses couleurs intactes en toutes circonstances, est ingélive, imputrescible, parfaitement adaptée à recevoir l’eau sans l’absorber. Il en résulte une facilité d’entretien amenant à la choisir pour décorer les bâtiments publics, particulièrement après la Première Guerre mondiale, époque à laquelle l’augmentation et la concentration de population dans les grandes villes et en banlieue parisienne aboutirent à des constructions à caractère hygiénique, sportif ou recevant des enfants.
Le style ornemental suivit les modes artistiques. On reproduisit d’abord les peintures anciennes au XIXe siècle, car il s’agissait juste de pérenniser un décor, le matériau étant parfaitement résistant au temps. Puis les motifs s’imprégnèrent des styles anciens et après un rapide passage par l’Art nouveau, profitèrent pleinement de l’Art déco. Par la face carrée des pièces produites industriellement, le motif géométrique s’impose, beaucoup d’encadrements et de figures symétriques, des frètes, des guirlandes et fleurs stylisées comme aux Bains-Douches bondynois.
Les murs intérieurs de ce bâtiment étaient entièrement recouverts de carreaux de faïence blancs et une frise florale avec des retombées régulières égayait l’ensemble. Les informations utiles au public figuraient directement sur le carrelage, imprimé et recuit par l’entreprise de céramique.
L’activité des Bains-Douches cessa officiellement le 31 mars 1977 et lors de la démolition des cloisons pour y installer le Service d’information de la femme et du couple, on conserva quelques carreaux récupérés depuis par l’association historique Bondy, son Chêne et ses Racines qui occupe provisoirement depuis janvier 2010 la partie centrale du bâtiment, prenant la suite de l’atelier municipal de photographie. L’aile gauche, autrefois réservée aux femmes, abrite les cours de percussions du Conservatoire de musique ; on peut encore y voir une partie du revêtement mural orné de carreaux de céramique à motif floral. Le club de modélisme ferroviaire occupe la partie droite, anciennement dédiée aux hommes.
Et maintenant, que vont-ils devenir ?
Ce bâtiment des Bains-Douches conserve extérieurement tous ses décors d’origine déjà mentionnés, ainsi que ses épis de faitage ornant les toits. L’entrée à deux vantaux porte les lettres B D identifiant bien le lieu, elle est encadrée de fenêtres ornées également de ferronneries à motifs décoratifs.
A ses côtés, l’ancien lavoir est plus discret mais ils forment ensemble en bordure du square du 8 mai 1945, autrefois nommé rue des Bains, un ilot de tranquillité agrémenté d’arbres et de bancs où il fait bon se reposer.
C’est aussi un lieu de mémoire, celle de de la Seconde Guerre mondiale rappelée par son nom et l’œuvre exposée face aux Bains. Mais aussi, mémoire de ces familles modestes qui firent Bondy voilà bientôt un siècle en construisant souvent à la sueur de leur front leur petite maison, parfois en brique, souvent en mâchefer et même en bois : un vrai bonheur… surtout quand on avait de l’eau ! Beaucoup de descendants se souviennent encore de leur passage obligé aux Bains et les maisonnettes d’origine sont toujours là, méconnaissables car agrandies, mais aujourd’hui devenues confortables.
© Ceramique-architecturale.fr – FM
Juin 2016
Association amie attentive au patrimoine humain, végétal, animal, architectural… notamment bondynois : Bondy Ecologie
Le début de cet article est paru dans le bulletin 2011 de l’association Bondy, son Chêne et ses Racines, même auteur FM