Le raisin apparait sans conteste comme le représentant majeur des fruits dans l’imagerie céramique architecturale. Récolté en automne, il symbolise cette saison auprès de portraits féminins sur les médaillons allégoriques ; mais pas seulement…
– Le raisin, fruit de saison et les céramiques de Boulenger, Brocard & Leclerc, Loebnitz …
– La distillerie St Quentinoise, à Saint-Quentin et la terre cuite émaillée de Brault-Gilardoni
– La cave Gaxieu & Beaudet, à Saint-Dizier et le grès de Gentil & Bourdet
– Les bureaux du négociant Ferdinand Sipeyre, à Châlons-en-Champagne et le grès de Gentil & Bourdet
La deuxième partie de cet article sera disponible fin novembre :
– La villa d’Henry Vasnier, à Reims et le grès de Gréber
– Cultivateurs et négociants locaux et les faïences de Boulenger, Creil & Montereau, Sarreguemines …
– Débits de boisson et autres lieux de vente et les céramiques de Boulenger, Limoges, Fourmaintraux & Delassus
– Etaient-ils vignerons, négociants en vin, ou adorateur de Bacchus ? et les céramiques de Sarreguemines, Boulenger, Gentil & Bourdet, Gilardoni, Janin & Guérineau, Bigot, Limoges …
Le raisin, fruit de saison
Allégorie de l’automne, mais bien plus encore… L’intérêt décoratif du pampre est avéré, mais il n’est pas la principale raison du choix de cet ornement : au travers du fruit, il faut y voir la propriété viticole et naturellement le vin. La répartition géographique des décors liés à la vigne suit assez fidèlement celle des grandes régions vinicoles, notamment les productrices de champagne.
Autour de 1900, quelques viniculteurs en pleine réussite professionnelle construisent de nouvelles caves, de nouveaux magasins ou bureaux de vente ornés de manière moderne en offrant la part belle à la céramique architecturale décorative, alors très en vogue.
La distillerie St Quentinoise, 57 boulevard Richelieu à Saint-Quentin dans l’Aisne (02)
En 1901, Adrien Fernand Blériot-Sauvez, dit Jules Blériot, fonde la Distillerie Saint-Quentinoise. Le bâtiment, réalisé par l’entrepreneur Julien Ozenfant, sur les plans de l’architecte Anselme Chérier, comprend alors une distillerie et un édifice commercial. [inventaire Picardie]
La façade sur rue est particulièrement remarquable par sa composition s’élevant telle une pyramide dont le sommet porte un panneau de céramique affichant la dénomination de l’entreprise et l’année de construction entourant le monogramme du propriétaire SB. Chacune des travées contiguës précise l’activité du lieu : spécialité d’eaux de vie, vins en gros. Ces trois panneaux illuminent l’ensemble de leurs couleurs vives. Ils sont formés de plaques de terre cuite émaillée à fond bleu sur lequel se détachent les lettres d’un bleu plus foncé, appliquées en relief, le tout délimité par un cadre de couleur miel formant cartouche. Sous chacun d’eux, l’arc des hautes baies vitrées est entouré d’écoinçons ornés de cornes d’abondance en relief et polychromes, tout à la fois signe d’opulence et symbolisant la multiplicité des fruits utilisés. Si le raisin fait partie des fruits transformés ici, il est peu probable qu’ananas et grenade soient utilisés : il s’agit d’un décor symbolique figurant au catalogue de A. Brault Gilardoni fils & Cie. Il est probable que M. Blériot ait eu connaissance de ce fabricant de céramique à Paris, ville dans laquelle il avait initialement fondé son entreprise.
Ces panneaux de terre cuite émaillée montrent de nos jours quelques décollements de surface et chocs anciens, sans doute dus aux deux conflits mondiaux du siècle. Ils remplissent cependant toujours parfaitement bien leur fonction informative et décorative sur ce remarquable bâtiment essentiellement construit en brique et réhabilité en centre culturel.
La cave Gaxieu & Beaudet, 3 rue Berthelot à Saint-Dizier en Haute-Marne (52)
La grande inscription ancienne Gaxieu & Beaudet, en grès émaillé, pourrait laisser le promeneur dubitatif. Le doute ne peut subsister longtemps : la lourde porte en bois, par sa forme arrondie, reflète l’Art Nouveau mais figure surtout le foudre, cet énorme tonneau couché dans lequel vieillit le vin.
S’en approcher confirme l’identité du lieu. De grosses métopes en grès émaillé, enchâssées dans des encadrements de bois représentent chacune une belle grappe de raisin pendant du cep, entourée de deux feuilles de vigne, le tout agrémenté des vrilles indissociables de ce végétal comme les sinuosités de l’Art Nouveau. Ces céramiques carrées en relief se retrouvent également logées sous le toit entre les aisseliers.
L’ornement en grès ou en faïence incrusté dans une porte est peu fréquent ; il montre une recherche particulièrement intéressante de l’architecte, insérant également deux frises alternant feuilles et grappes.
L’arc autour de la porte est souligné de briques émaillées dans de belles teintes variant chacune, du beige au miel, comme le produisent les émaux de grès. Il est jalonné de claveaux, pièces presqu’imperceptiblement conçues avec une extrémité moins large que l’autre afin d’épouser au mieux la courbe, et représentant naturellement du raisin. La façade elle-même est entièrement ponctuée d’éléments demi-sphériques tels de petits grains disséminés.
Ce beau travail est l’œuvre de l’architecte René Léautey en 1909. Il est servi par les grès de Gentil & Bourdet, dont l’usine se trouvait proche de Paris à Boulogne-Billancourt depuis 1903. Ces céramistes au catalogue de grès de bâtiment bien fourni avaient au début du XXe siècle la plus large palette de modèles représentant le raisin, tandis que la plupart de leurs collègues faïenciers ou créateurs de reliefs en grès ou terre cuite commençaient timidement à introduire un seul modèle représentant ce fruit parmi leur grande offre florale.
Quelques recherches concernant les associés ayant laissé leurs patronymes au fronton de l’édifice, permettent de confirmer l’histoire du lieu. C’est en 1901 que F. Gaxieu et A. Beaudet s’associent. Jusqu’alors, François Gaxieu est seul, négociant en vins depuis plus de vingt ans à St-Dizier ; sa propriété fait l’angle des actuelles rues Berthelot et Carnot où il possède une belle demeure fin XIXe, déjà ornée de céramiques, carreaux de faïence de provenances différentes et de décors plus anodins car les catalogues de l’époque ne proposaient pas de modèles en lien avec sa profession.
De son côté, Jean Albert Alphonse Beaudet est aussi négociant en vins mais demeure à Beaune. L’association Gaxieu Beaudet est à la fois commerciale et familiale puisque la fille Gaxieu, Céline Pauline, épouse le fils Beaudet, Marie Albert Alphonse en 1899, union de deux patrimoines fréquente à cette époque. Ce dernier vient donc se fixer à St-Dizier et travailler vraisemblablement avec son beau-père.
La cave de la rue Berthelot est toujours en activité bien qu’ayant changé d’appellation et fonctionne donc depuis plus d’un siècle. [archives 52]
Les bureaux du négociant Ferdinand Sipeyre, 9 avenue du Maréchal Leclerc à Châlons-en-Champagne (51)
Lorsque Ferdinand Sipeyre installe son établissement vinicole à flanc de colline peu après 1900, rue Compertrix à Châlons-sur-Marne, il fait inscrire au fronton son patronyme encadré de ses activités : VINS, COMMISSION, CONSIGNATION, sur des carreaux de céramique.
Son entreprise fonctionnant très bien mais positionnée trop à l’écart, il choisit d’établir sa résidence vers 1907 au 9 allées des Forêts, actuellement dénommée Maréchal Leclerc [archives 51]. Il demeure dans la grande propriété en fond de parc, et fait construire au bord de l’allée un élégant pavillon abritant ses bureaux. Il est élevé en briques jaune pâle produites par la briqueterie de Dizy, comme de nombreuses maisons de la ville utilisant des matériaux régionaux par commodité de transport.
L’architecte Octave Gélin grave sa marque en 1910 au-dessus d’un large bandeau en grès émaillé de couleurs chaudes. A la manière d’une treille, grappes de raisin, feuilles et vrilles enserrent façade et côtés. C’est là encore une production de Gentil & Bourdet.
Aucun patronyme ne figure mais le choix du décor, associé à la peinture sur verre en imposte « Bureaux », ne laisse aucun doute sur l’activité ancienne dans ce pavillon. Le décor tient lieu d’enseigne, personnalisé par celui de la grille portant les initiales entrelacées de Ferdinand Sipeyre et déroulant là aussi les ornements liés au vignoble en un formidable travail de ferronnerie, inscrite comme le pavillon à l’inventaire des Monuments Historiques.
La mémoire locale est ainsi préservée, même si les anciens Châlonnais se souviennent plutôt de la période suivante durant laquelle plusieurs sages-femmes ont successivement œuvré en ce lieu, entre la Seconde Guerre Mondiale et 1972. Il abrite actuellement un laboratoire dentaire.
A suivre… 2ème partie en ligne fin novembre 2016
© Ceramique-architecturale.fr – Françoise Mary
Octobre 2016
Sources complémentaires : Service Animation du Patrimoine de Saint-Quentin
Toutes les découvertes céramiques de cet article sont le fruit de mes balades et recherches, parfois accompagnées de fins connaisseurs de leur région, Daniel Baduel, Aynur Cifci, Eric Courcy, Marie-Thérèse Lhonoré, Rodolphe Touch ; je les en remercie chaleureusement.