Histoire de jouer avec les carreaux en grès cérame

L’histoire des carreaux en grès cérame, appelés aussi carreaux mosaïques, débute au XIXe siècle. La fabrication des modèles vendus sur catalogue révèle une technique très particulière qui mérite d’être racontée. Mais le plus surprenant, c’est le malin plaisir des céramistes à vouloir nous amuser, nous inviter à créer. Proposition bien comprise : effectivement, certains de leurs modèles se prêtent au jeu et c’est l’effet rétro garanti pour tous !

Comment résister à l’invitation de la CGCB, la Compagnie Générale de la Céramique du Bâtiment : « 1000 combinaisons pour une, des plus simples aux plus riches, naitront de vos mains en recherchant vous-mêmes d’autres associations de ces carreaux » ?

L’idée est fabuleuse car elle permet au client de créer son décor personnalisé à partir de toutes les manières possibles d’assembler seulement trois modèles de carreaux. Tel est le principe du carrelage à combinaisons multiples.

Destiné aux adultes, ce dépliant datant de la décennie 1925-1935 peut aussi amuser les enfants dès l’âge de l’école élémentaire. Avant de dire quelques mots sur le carreau de grès cérame, voici trois propositions de jeux auxquels ont dû se prêter nos ancêtres, occupés à assembler de véritables carreaux. Naturellement, il faut s’adapter à la situation actuelle, sans carreaux et avec confinement imposé, en transposant le jeu : pour réussir, il s’agit de savoir lire, colorier sans déborder, découper précisément en suivant un trait, et aimer les casse-têtes !

La première proposition nécessite d’imprimer la feuille ci-dessous, d’avoir des feutres fins ou des crayons de couleur, et des ciseaux.

La deuxième proposition nécessite d’imprimer la feuille ci-dessous et d’avoir des ciseaux.

La troisième proposition est plus complexe, elle implique de connaitre la notion de symétrie ; elle nécessite du papier quadrillé, une règle, un crayon noir, des feutres fins ou des crayons de couleur, et des ciseaux.

Retour sur l’histoire des carreaux de grès cérame

La technique utilisée pour la fabrication de ces carreaux date du XIXe siècle. Elle est inspirée de l’anglais Richard Prosser qui mit au point en 1840 une méthode de pression à sec de poudre d’argiles pour produire des boutons et autres petits objets. Ce nouveau procédé sera utilisé dans la fabrique anglaise Minton pour réaliser des carreaux de sol plus résistants qu’en pâte molle et décorés de multiples couleurs. Il arrive en France dès 1862 par l’entreprise belge Boch Frères1 et sa filiale française distante de quelques kilomètres à Louvroil près de Maubeuge (Nord)2.

La production des carreaux en grès cérame se répand en France, notamment grâce à Paul Charnoz directeur à Louvroil puis fondateur en 1877 de l’usine de Paray-le-Monial. De là serait ensuite venu un céramiste essaimant la fabrication à Ecuisses chez Perrusson & Desfontaines3. Puis en 1891, la Société anonyme des carrelages céramiques de Paray-le-Monial est créée par rachat de l’usine d’origine ; ces nouveaux exploitants sont eux-mêmes céramistes, les Jaunez et de Geiger de Sarreguemines, Hippolyte et Paul Boulenger de Choisy-le-Roi.

La production florissante des carreaux de grès cérame à dessins de la fin du XIXe siècle et du début XXe se trouve mise en danger après la 1ère Guerre mondiale, époque à laquelle il faut reconstruire rapidement et peu cher. Les motifs sophistiqués sont donc moins demandés, au profit des unis posés en damier. Dans ce contexte, la CGCB, Compagnie Générale de la Céramique du Bâtiment voit le jour à partir de la société de Sarreguemines et absorbe six autres manufactures dont celle de Paray-le-Monial4. La commercialisation se fera désormais sous le nom de Cérabati.

Dès la fin du XIXe siècle, les sols des maisons, des halls d’immeubles et des commerces se parent de ces motifs posés en tapis avec une bordure de même style séparée par un carreau plus étroit, le filet. Rarement à combinaisons multiples comme ceux du dépliant, ils forment d’élégants motifs le plus souvent sur la base de quatre carreaux. Il suffit parfois de changer les couleurs pour obtenir l’illusion d’un autre modèle. Beaucoup viennent du Nord, Maubeuge, Douzies, Landrecies, d’Ile de France où Hte Boulenger & Cie en fabrique, ainsi que d’autres dont on ne sait pas toujours s’ils produisent réellement ou s’ils sont revendeurs ; l’Oise, haut lieu de la fabrication de terre cuite pour le bâtiment est aussi productrice, notamment chez Octave Colozier. Les trouver décorant une façade n’est pas exceptionnel, particulièrement dans les régions où ils sont produits. Les carreaux de sol sont souvent issus de la manufacture locale, s’il en existe une contemporaine de la construction, cela minimise le coût du transport tout en favorisant une fabrique que l’on connait ; mais ce n’est pas une règle absolue.

Parallèlement la concurrence du carreau de ciment prospère, son principe de division des couleurs est le même et l’apparence des décors semblable. Mais il est plus économique, car il n’a pas besoin de cuisson, moins 50 % vante la maison de la Veuve Bourgeois à Paris, d’où son succès. Le procédé vient de sa manufacture ou plus exactement de M. Larmanjat qui le fit breveter en 1864 ; c’est un mélange de chaux et de sable également réduits en poudres à insérer puis presser dans un « mosaïque-moule »5. Chacun soutient naturellement les avantages de son produit, mais avec le temps, le ciment semble moins durable que le grès cérame qui s’est vitrifié en cuisant. Les manufactures les nomment parfois « carreaux mosaïques », sans doute parce qu’il faut plusieurs pièces différentes pour former un ensemble décoratif, comme pour réaliser une mosaïque. A moins qu’il se justifie par la pose des couleurs côte à côte. Cette appellation est employée essentiellement par les fabricants de carrelage en ciment.

Le grès « cérame » est une appellation que les fabricants réservaient à la production de carreaux de sol pressés à sec ; l’adjectif est ajouté au XIXe siècle sous l’influence des écrits de Brongniart6 dans son Traité des arts céramiques. Mais les grès en pâte n’en avaient pas besoin, chacun voyait bien depuis très longtemps qu’on ne pouvait confondre avec la roche éponyme. Le musée Paul Charnoz à Paray-le-Monial en Saône et Loire rend tout à fait vivante l’histoire de l’entreprise et la fabrication des carreaux en grès cérame. Des pièces exceptionnelles sont présentées, notamment l’une des deux grandes rosaces monumentales présentées à l’Exposition universelle de 1900, 9 m 30 de diamètre en carreaux de grès incrustés, autre appellation de cette technique. Comme membre du jury, Paul Charnoz n’avait pu être récompensé comme il l’avait été en 1889 pour une autre rosace exposée qui lui avait valu une médaille d’or ; de forme étoilé, ce décor de 700 carreaux en grès incrusté représentait déjà un véritable exploit technique et artistique.

Le décor de ces carreaux pressés à sec n’est pas peint, ni ajouté, il est conçu dans la masse. Pour commencer, les argiles et adjuvants sont atomisés pour devenir des poudres colorées ; ensuite celles-ci sont introduites une à une dans les compartiments d’un diviseur (ou réseau, résille). Ce diviseur est fait de lamelles verticales, généralement en laiton, permettant de séparer les couleurs. Il est placé dans le fond d’un moule et l’on commence la fabrication par le décor pour finir par la partie cachée. Pour verser rapidement les poudres sans mélanger les coloris, des caches percés à l’endroit de chaque couleur sont posés successivement sur le réseau, autant de caches que de couleurs, c’est le principe du pochoir. Moins de cinq millimètres de hauteur de poudres suffisent avant de retirer le diviseur et compléter par des poudres d’argiles plus grossières. Une lourde presse munie de la marque de fabrique agglomère ensuite le tout. A ce stade le carreau peut être manipulé sans casser, les couleurs ne se sont pas mélangées, et aux yeux du néophyte cela apparait comme un petit miracle ! La cuisson entre 1200 et 1280° termine le carreau qui devient inusable et imperméable grâce à la présence de silice assurant la vitrification.

Leur résistance leur permet d’être toujours en place, lorsqu’une envie de « modernité » ne les a pas fait disparaître. Associés à des murs fraîchement repeints, à des boiseries ou à un ancien carrelage mural, ils font un effet rétro très agréable. Le motif souvent chargé en détails et couleurs s’allège au début du XXe siècle, en adoptant un style oscillant entre l’Art nouveau et l’Art déco. Quel qu’il soit, et à notre époque, il se marie bien avec des murs d’une seule teinte en harmonie avec le sol, permettant ainsi de profiter de tout leur charme.

1 Hans Van LEMMEN et Mario BAECK, Industrial Tiles. Industrielle Fliesen. Industriële Tegels. Carreaux Industriels 1840-1940, Boizenburg, Hasselt, Otterlo, 2004. p. 30 et 108.

2 Brevet déposé en France le 7 août 1861 par Vr. Boch pour la fabrication de dalles et carreaux colorés. INPI

3 Cité comme explication traditionnelle par Luc DUNIAS Les Perrusson-Desfontaines, industriels céramistes et leur résidence d’Ecuisses, Ecomusée Le Creusot-Montceau 2004. p. 60

4 L’entreprise absorbée d’Ecuisses, citée sur le dépliant, n’est pas celle de Perrusson & Desfontaines mais celle de Collesson. Ibid. p. 93

5 Brevet déposé le 10 juillet 1864 par M. Larmanjat pour la fabrication des carreaux mosaïques à base de chaux hydraulique et à incrustations coloriées INPI.

6 Alexandre BRONGNIART (1770-1847) fut administrateur de la Manufacture de Sèvres de 1800 à 1847.

© Ceramique-architecturale.fr – Françoise Mary
Histoire de jouer avec les carreaux en grès cérame – Avril 2020

Deux ouvrages à lire :

  • Mario BAECK, Splendeurs domestiques / Les carrelages de sol et de mur en céramique et en ciment en Belgique,dossier 11, Institut du Patrimoine wallon 2013 [histoire, savoir-faire, restauration… proches de la France]
  • Yves ESQUIEU, Une histoire du carreau-mosaïque / De la couleur dans la maison, REF.2C éditions, 2013 [en ciment]

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